Le Coeur : confidences d'un symbole universel

« De deus cuers avez fet un » (« De deux coeurs vous avez fait un »). Cette phrase, empruntée à l’amour courtois du XIIe siècle sous la plume de Chrétien de Troyes, illustre parfaitement une idée qui traverse les siècles : l’union de deux âmes en une seule. Le cœur, dans l’imaginaire collectif, est le symbole absolu de cette fusion, représentant deux moitiés qui s’assemblent si intimement qu’elles ne forment plus qu’un tout indissociable.

Aujourd’hui, la présence du cœur stylisé est très largement répandu dans notre quotidien. Le symbole du coeur est systématique et s’affiche partout : dans les publicités, sur internet, à l’occasion de la Saint-Valentin, et même sur nos objets les plus personnels, qu’il s’agisse de bijoux, de décorations ou d’accessoires. Le coeur, symbole planétaire, ponctue nos messages électroniques et nos échanges numériques, devenant ainsi un langage universel de tendresse et de passion.

Reconnu aux quatre coins du monde comme l'emblème absolue de l’amour et de l’affection romantique, l'origine du symbole coeur demeure pourtant entourée de mystère. Comment cette forme si caractéristique, avec ses deux lobes arrondis qui se rejoignent et sa pointe effilée, s’est-elle imposée au fil du temps comme l’incarnation graphique des sentiments ?

La stylisation du cœur en symbole est le résultat d’une longue évolution marquée par des influences diverses. Mythologie, religion, esthétique et science ont tour à tour façonné son apparence et sa signification, donnant naissance à l’icône intemporelle que nous connaissons aujourd’hui.

 Quelle est l’histoire derrière cette forme emblématique ? Pourquoi le symbole du coeur s’est-il imposé comme l’incarnation des sentiments amoureux ? D’où vient cette représentation si éloignée de l’organe biologique qu’elle évoque ? Tant de questions auxquelles nous nous efforcerons d'apporter les réponses durant cet article.

L’origine du symbole du cœur

La feuille de lierre

L’histoire du symbole du cœur trouve ses racines dans l’Antiquité, période durant laquelle apparaissent les premières représentations de cette forme emblématique. Pourtant, en l’absence de connaissances anatomiques précises – les autopsies étant interdites à l’époque – les artistes et dessinateurs ont dû s’inspirer d’un modèle existant dans la nature : la feuille de lierre. Présent en abondance sur les poteries et vases de la Grèce antique, le lierre était déjà un symbole puissant, associé à un amour éternel et indéfectible. Sa capacité à s’accrocher solidement aux surfaces et à rester toujours vert en faisait une parfaite métaphore de la fidélité et de la force des sentiments.

           

La graine de silphium

Parallèlement, certains historiens attribuent la forme du cœur à une autre source d’inspiration : la graine de silphium, une plante aujourd’hui disparue qui ne poussait que dans une région de l'actuelle Libye. On retrouve cette graine sur les pièces en argent de Cyrène datant de 700 ans avant Jésus Christ, témoignant de son importance à l’époque. Le silphium était notamment utilisé comme contraceptif, ce qui renforce son lien avec l’amour et la sexualité. Bien que son utilisation première ait été médicale, le motif de cette graine a fini par être repris dans l’art, servant essentiellement d’ornement pour sublimer des peintures ou des fresques.

Signification du coeur, symbole de l'amour

Au fil du temps, le cœur est devenu, à l’instar de Cupidon, un symbole universel de l’amour et, dans certaines cultures, de l’amitié. Il est perçu comme le centre de l’activité émotionnelle, spirituelle, morale et intellectuelle, reprenant ainsi la symbolique du véritable organe cardiaque. L’image du cœur brisé ou celle d’un cœur transpercé par une flèche sont directement associées à Éros, le dieu de l’amour, et traduisent visuellement les affres d’une déception sentimentale ou d’un amour passionné frappé par le destin.

       

Utilisation de la symbolique du coeur

Premières utilisations du symbole du coeur

À partir du Moyen Âge, une transformation majeure s’opère dans la représentation du cœur en Europe. Les peintres commencent progressivement à délaisser les représentations anatomiques réalistes pour adopter une forme plus stylisée et symbolique. Cette transition s’effectue sur plusieurs siècles, laissant derrière elle des œuvres où les deux styles coexistent. Parmi ces témoignages artistiques, on retrouve notamment le tableau Sainte Catherine de Sienne échangeant son cœur avec le Christ, réalisé par Giovanni di Paolo. Dans cette peinture, le cœur est encore représenté de manière réaliste, peint en rouge pour évoquer le sang et la vie, une couleur qui sera par la suite définitivement associée au symbole.

Représentation de sa forme actuelle

La première apparition documentée du cœur sous sa forme actuelle remonte à 1340, dans un manuscrit français intitulé Le Roman d’Alexandre. C’est la chercheuse Marilyn Yalom, du Clayman Institute for Gender Research, qui a mis en lumière cette découverte. Dans ces premières esquisses, le cœur n’a pas encore la forme parfaite que nous lui connaissons aujourd’hui : il évoque plutôt une pomme de pin, une aubergine ou une poire, avec un sommet effilé pointant vers le haut et une base plus large, souvent représentée dans une main.

La Renaissance marque l’aboutissement du dessin du cœur tel que nous le connaissons aujourd’hui. Léonard de Vinci, esprit visionnaire et génie aux multiples talents, s’intéresse à cet organe avec une précision scientifique inégalée. Animé par un souci du détail et une quête de vérité anatomique, il l’étudie sous toutes ses formes, disséquant minutieusement des cadavres récupérés à la morgue, à l’instar d’autres artistes et savants de son époque.

Parallèlement, les peintres italiens de la Renaissance exploitent pleinement la symbolique du cœur en accentuant ses teintes chaudes et vibrantes. Ils jouent sur une carnation carmin et pourpre, des couleurs évocatrices du sang et de la passion. Cette approche dramatique renforce l’association entre le cœur, siège des émotions intenses, et la puissance des sentiments humains.

Dès le XIXe siècle, le cœur romantique envahit tous les supports, se déclinant sous d’innombrables formes : il apparaît aussi bien sur des jeux de cartes audacieux que dans les tableaux passionnés de Delacroix et William Blake, sans oublier les objets d’art et la joaillerie. Il devient l’organe vibrant des tourments émotionnels, incarnant avec une intensité particulière la douleur et la souffrance amoureuse.

Mais son symbolisme ne s’arrête pas là. Le cœur devient également le réceptacle des désirs charnels, flirtant avec des formes évocatrices qui rappellent une poitrine généreuse ou une paire de fesses, à peine dissimulées sous son apparente innocence.

Au XXe siècle, le cœur s’impose comme une icône incontournable de l’art et de la culture populaire. Il bat au rythme des œuvres profondément autobiographiques de Frida Kahlo, Jim Dine ou Keith Haring pour ne citer que quelques artistes fascinés par ce motif.

Plus qu’un simple symbole de passion, il se charge alors d’une dimension personnelle et engagée, véhiculant des valeurs universelles de lutte, de courage et de résilience. Aujourd’hui, avoir du cœur ne signifie plus seulement aimer : c’est aussi résister, persévérer et affirmer son identité.

Les nombreuses utilisations du symbole

Au fil du temps, le cœur stylisé s’est imposé dans de nombreux domaines et a pris des significations variées selon les époques et les cultures :

• Jeux de cartes : Il devient l’un des quatre symboles traditionnels des cartes à jouer.
• Langue Bliss : Ce langage pictographique international utilise le symbole ♡ pour désigner le concept de sentiment.
• Jeux vidéo : Le cœur représente généralement une "vie" ou un point de vie.
• Alimentation et santé : Dans certains restaurants et sur des emballages alimentaires, il signale des produits bénéfiques pour le cœur et la santé cardiovasculaire.
• Langage moderne et digital : Le symbole coeur est utilisé pour exprimer l’amour, souvent en remplacement du verbe "aimer", comme dans la célèbre expression "J’♥ Paris".
• Événements et célébrations : le coeur est omniprésent lors de la Saint-Valentin, des mariages ou des anniversaires de couple, apparaissant sur les décorations, les cartes et les cadeaux.
• Bijouterie : Le cœur est l’un des motifs les plus prisés pour les bagues, colliers, bracelets et boucles d’oreilles, chaque design portant une signification différente selon la forme et la personne qui le porte.

Le symbole du cœur a aussi connu des déclinaisons plus inattendues à travers l’histoire :

• Les Vikings dessinaient une version stylisée du cœur en forme de lettre M arrondie pour exprimer leur amour à leur fiancée. Ce symbole pouvait également être interprété comme une paire de fesses, évoquant alors le désir et l’attirance physique.
• Dans l’univers gothique, le cœur prend une apparence plus allongée et s’habille de noir, incarnant des sentiments plus sombres comme la jalousie et la haine.
• En codage informatique, il existe plusieurs représentations du cœur, comme le cœur creux ♡, référencé sous le code Unicode U+2661 et affichable en HTML.

Après cette longue histoire du coeur en tant que symbole, pas si évidente, aux influences multiples, entre mythologie, religion, botanique, esthétique et science, que nous avons tenté de démêler ici, vous avez pu découvrir que depuis l'antiquité, la signification du cœur, pas l'organe mais le motif, le symbole universel de l’amour, celui que les garçons aiment en gâteaux et que les filles préfèrent en bijoux, n'a jamais cessé d'évoluer dans sa forme, sa signification et sa représentation jusqu'à nos jours.

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